Avant-hier soir, poussé par deux compatriotes de l’artiste, j’étais à Neuilly écouter le jazz afro-latino de Richard Bona en concert avec une sympathique petite bande de chouettes musiciens. Un poil court mais truffé de quelques surprenants morceaux de bravoure.

Je retiens particulièrement l’improvisation polyphonique d’inspiration Sud Africaine de Richard Bona a capella avec lui même et un petit échantilloneur à l’aide duquel il rajoute couche vocale après couche vocale, enrichissant sa composition à chaque boucle – aussi joli qu’original !

Avisant les boulets qui tiennent leur terminal mobile à bout de bras, Richard Bona a exprimé son désarroi. Il explique en substance : “Vous me filmez avec vos petits téléphones et leurs horribles micros, et demain les vidéos tremblotantes seront sur Youtube avec un son pourri. Ceux qui découvriront ainsi Richard Bona se diront que finalement ce n’est pas formidable – it’s not fair !”. Et il enchaine sur une improvisation qu’il ponctue de diverses vocalises au milieu desquelles on trouve un “piratez-moi mais piratez-moi bien” et “non au son pourri” – au moins ça a fait rire le public.

Il ajoute que quitte à enregistrer son concert, autant s’adresser à son ingénieur du son et se brancher en sortie de la table de mixage. Le prenant au mot, je vais après le concert discuter avec l’équipe de l’ingénieur du son et je leur demande si Richard Bona permet réellement un tel enregistrement de ses concerts. Ils m’ont répondu qu’il n’était probablement pas sérieux, qu’il disait probablement ça pour plaisanter et qu’ils n’avaient en tout cas jamais vu ça.

Pourtant, bien d’autres l’on bien fait avant lui. Les plus célèbres sont certainement Grateful Dead qui ont largement innové en encourageant et facilitant l’enregistrement de leurs concerts afin d’exploiter leurs fans comme un énorme levier de promotion.

Ces pratiques ont leur origine dès la fin des années 60 et ses sont propagées depuis, largement grâce à la décision de Grateful Dead d’en faire une partie intégrante de son business model. Aujourd’hui, les héritiers de l’ancêtre des jam bands ont continué à entretenir cette relation fructueuse avec leur public. Par exemple, Dave Matthews Band publie une charte officielle définissant le cadre des enregistrement par le public.

Le fil directeur du processus est de favoriser l’interaction des fans par laquelle est promu non pas le l’enregistrement musical lui-même mais l’univers artistique au travers de lui. Tous les fans vous le diront : un album de studio c’est du petit son en boite avec plein de conservateurs – pour prendre toute la mesure des sensations que procure les artistes, rien ne remplace la scène. Et c’est évidemment la raison pour laquelle le cas des jam bands reste particulier : leur produit c’est l’immersion scénique, et c’est pourquoi l’enregistrement peut être utilisé comme moyen de promotion.

On peut remercier Grateful Dead pour avoir su trouver le business model qui accompagne harmonieusement la culture extrêmement libérale dans laquelle le groupe et ses fans ont évolué. Rien que dans le cas de Grateful Dead plus de 3000 spectacles enregistrés sont librement disponibles en ligne. Mais ce n’est probablement que le début d’une culture qui continue à se propager à mesure que des artistes comprennent comment exploiter la relation symbiotique qui les unis à leurs fans, pour l’amour et pour le profit.