Le Commissaire Thomas Hammarberg (Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe) s’est rendu en France au mois de mai 2008. Au cours de cette visite, le Commissaire a rencontré les Ministres de la Justice, de l’Immigration, du Logement et de la Ville, la plupart des institutions nationales chargées de la protection des droits de l’homme et des représentants de la société civile. Il a ainsi pu évoquer certaines questions de droits de l’homme et notamment les droits des détenus, l’asile et l’immigration et la protection des Roms et Gens du voyage.

Dans le résumé de son rapport, je note que “le Commissaire attire l’attention des autorités françaises sur les risques associés à la détermination à priori du nombre de migrants irréguliers à reconduire aux frontières. Il convient d’analyser les conséquences sur les méthodes d’interpellations et la pratique administrative“. Nous avions fermement dénoncée l’introduction des quotas d’expulsion, et je suis ravi de voir une autorité Européenne exposer les travers de cette regrettable méthode.

Voici extraite du rapport la section traitant des conséquences de la définition d’objectif chiffré de reconduites d’étrangers :

“Depuis 2005, les autorités françaises ont pris la décision de déterminer en début d’année le nombre d’étrangers irréguliers qu’il convient d’éloigner volontairement ou non avant le 31 décembre. Cet objectif est passé de 20 000 reconduites en 2005 à 26 000 pour l’année 2008. Les autorités reconnaissent toutefois qu’elles ne pourront pas par ce biais mettre un terme à la présence d’étrangers irréguliers sur le territoire français – estimés entre 400 000 et 600 000. La détermination de cet objectif quantitatif semble donc plus dépendante de la capacité supposée de l’administration à les atteindre que de la volonté de faire disparaître un tel phénomène.

Comme indiqué dans le cadre de sa visite des zones d’attentes de l’aéroport de Roissy et du CRA du Mesnil-Amelot, le Commissaire craint que la pression engendrée par les objectifs chiffrés de reconduite à la frontière pousse les force de l’ordre à procéder à de plus en plus d’interpellations avec des méthodes parfois contestables. [..] Ces pratiques illégales sont heureusement exceptionnelles mais démontrent l’impact que peut avoir une politique centrée sur la réalisation de chiffres où le quantitatif prime parfois sur la nécessaire obligation de respecter les droits des individus”.

La remarque que “la détermination de cet objectif quantitatif semble donc plus dépendante de la capacité supposée de l’administration à les atteindre que de la volonté de faire disparaître un tel phénomène” me semble être un indice renforçant mon idée que ce genre de mesure prise en matière d’immigration par la France relève plus de la gesticulation médiatique simpliste à l’usage de l’électorat que de la délicate construction d’une politique réaliste intégrant la complexité du phénomène des migrations.

En se focalisant sur la gesticulation médiatique on accroit la souffrance des migrants sans atteindre l’objectif présenté (aussi discutable soit-il) et en contribuant encore moins à l’utilité globale. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il n’y a pas de quoi être fier et que nous pouvons faire beaucoup mieux – notre société a beaucoup à gagner si elle parvient à exiger du monde politique que la prise en compte des migrations ne soit plus un domaine où les rationalités sociales et économiques sont laminées par la gestion des peurs régressives de l’électorat.

Quand aux gouvernants qui prétendent qu’on peut sérieusement envisager de déporter presque 1% de la population de la France (600000 sur 60 millions), j’ai peur d’apprendre quels sont les sources historiques de leurs études de faisabilité.

Je profite de cet article pour saluer le gouvernement Malien qui oppose une vive résistance à la pression de la France pour la signature de l’accord « gestion concertée des flux migratoires et co-développement ». Il est heureux que des gouvernements nous aident à contrer les plans de ceux qui veulent faire de la cité Européenne une forteresse consanguine.