C’est l’histoire d’un échec – mais un chouette ballade quand même et une exploration des routes Anglaises sur 102 kilomètres en vue d’une nouvelle tentative qui se terminera à Paris et non à Newhaven devant un quai vide.

Je ne sais plus où j’avais lues les aventures d’Alain “Monsieur” Decayeux et de ses compagnons de route entre Paris et Londres en 2005, mais j’avais trouvée l’idée excellente et j’avais très envie de tenter l’aventure à mon tour. Cette été, encore plus que d’habitude, j’avais envie de prendre la route et cette idée d’itinéraire a resurgit. Le symbolisme évident d’une liaison entre ces deux capitales est irrésistible. Après une petite heure d’étude le parcours m’a paru tout a fait a ma portée. Ce serait tout de même mon plus long parcours routier puisqu’à ce jour je n’ai jamais dépassé 210 kilomètres d’une seule traite alors que celui-ci atteint 255 kilomètres à vue de Google Maps, mais la coupure de quelques heures au tiers du parcours le rend physiquement plus accessible qu’il en a l’air. Et puis même si les conditions y sont entièrement différentes, mes 397 kilomètres aux 24 Heures du Mans cette année me donnent confiance en moi. Les horaires de traversée sont contraignants – jamais plus de deux ou trois par jour, mais le ferry de 22:30 semble finalement être une solution fort acceptable.

Voici l’itinéraire que j’avais prévu :

De Londres St Pancras à Newhaven et approche de l’avenue verte depuis Dieppe

De Forges Les Eaux à Paris

J’ai rangée cette étude de faisabilité dans le répertoire des plans a exécuter un jour ou l’autre – mais trois semaines plus tard l’envie fut trop forte… Le vendredi soir les prévisions météorologiques sont enthousiastes : beau et chaud. Je n’avait rien de particulier de prévu pour le week-end, alors je n’ai pas résisté : j’ai pris mon billet Eurostar pour Londres, départ à 08:07 et arrivée à 09:34.

Depuis deux semaines je sondais les disponibilités du ferry, mais il m’était impossible de réserver une traversée : toujours complet pour la traversée du soir, tous les samedis jusqu’à la fin de la saison. Mais après quelques lectures il m’est apparu que les passagers piétons se présentant sur place ont une quasi-certitude d’embarquer – j’ai donc décidé donc de tenter ma chance.

Il ne me reste plus qu’a ramasser ce qu’il me faut pour un raid, dans les caisses de matériel et dans le carton de bouffetance technique – je commence à être bien rôdé à cet exercice. Il faut aussi dormir un peu parce qu’il est une heure du matin et que je me réveille a six heures pour un grand bol de muesli et un train pour Londres. Comme disent les slogans publicitaires : “le monde est ton terrain de jeux” et “juste fais le” !

Je sors de chez moi en portant mon sempiternel cycliste noir avec T-shirt orange, et sur mon dos un un sac profilé compressible de 15 litres dont le contenu est le suivant :
– Une roue de rechange avec ses roulements
– Une clé hexagonale pour les roues
– Cinq petits tubes de gels énergétiques et trois barres car je compte essentiellement sur le ravitaillement que je trouverai en route
– Quelques sachets de poudres énergétiques et électrolytiques pour compléter l’eau si c’est tout ce que je trouve
– Une outre Source Widepack pleine d’eau avec poudre. J’ai testés d’autres types, mais celui-ci est le seul qui me donne entière satisfaction à l’usage et à l’entretien – il ne fuit pas, il est très simple à utiliser, très facile à remplir et se nettoie rapidement et efficacement.
– Une petite frontale pour avoir un minimum d’éclairage au petit matin. Je ne compte pas rouler de nuit cette fois-ci
– Petite pharmacie pour petits chocs, égratignures, ampoules & co
– Un communicateur Android G2 pour prendre des notes, prendre et transmettre des photos géolocalisées et consulter Google Maps.
– Mes notes d’itinéraire en cas de défaillance du communicateur.
– Enregistreur de positions Sony GPS-CS1
– Carte d’identité
– Carte de crédit
– Papier toilettes parce que je n’ai pas pris la peine de passer en régime zéro résidus – un détail qui compte lorsqu’on est en pleine cambrousse.
– La clé de chez moi… On ne rigoles pas dans le fonds !
– Sur ma tête, un casque avec les autocollants RollerEnLigne.com – c’est pas demain la veille que quelqu’un louera de l’espace sur mon casque, alors autant arborer les couleurs de mon site de roller préféré !

J’ai chaussés mes confortables et efficaces Rollerblades Speedmachine 10 – j’ai définitivement abandonnés Fila M100, fort efficaces mais trop étroits et donc fort douloureux pour mes larges pieds. Pour l’occasion j’ai montées les roues d’origine pas loin d’être a bout de souffle – mais en l’absence de chrono après lequel courir, ces gommes rongées en double biseau feront bien l’affaire. Quoiqu’il en soit, tout ce que j’ai d’autre en stock c’est un train de roues Matter jaunes dont la dureté me parait excessive compte tenu de la qualité incertaine des revêtements Anglois – j’ai un très mauvais souvenir des grattoneuses rues de Londres. Les roulements ne sont pas de première fraîcheur non plus, mais je doute que ça fasse une énorme différence pour ce type de parcours.

Un peu de sommeil dans le train (j’en ai bien besoin – je me couche toujours trop tard avant ce genre d’exercice) est interrompu par le petit déjeuner composé de plein de cochonneries inadaptées a une épreuve sportive, mais comme je suis en ballade j’en profite quand même Le temps couvert sur l’Angleterre sera bienvenu pour réduire ma consommation d’eau.

Je sors tranquillement de la gare de St Pancras. Il est 09:50 quand je démarre l’enregistreur de positions et je met le cap au sud après quelques minutes de désorientation dans ce nouvel environnement où il ne faut pas oublier de rouler du mauvais côté de la route.

Je m’octroie quelques pauses le long de Blackfriars road pour capter quelques autoportraits dans le cadre desquels j’essaie désespérément d’inclure un bus rouge à deux étages pour faire couleur locale – mais le délai de déclenchement de la caméra de l’Android G2 est de l’ordre de l’ère géologique et je me contente de transmettre sur Brightkite ce que j’ai réussi à attraper – vers 10H20 d’après Brightkite. Mon accès en itinérance ne m’accorde ni voix ni SMS, mais bizarrement j’ai une connectivité IP correcte alors ce sera comme ça que je tiendrai mes amis au courant de ma progression.

Vent de face non négligeable et routes médiocres – tout se passe comme prévu, c’est rassurant. En fonction du trafic, des piétons, de la qualité de la chaussée et de l’état de délabrement des trottoirs, je louvoie au mieux. Mais la banlieue de Londres défile quand même bien et j’adore l’ambiance multiculturelle apportée par les sujets des colonies de Sa Majesté. Mon script de transmission de Google Latitude vers Brightkite n’est exécuté que tous les quarts d’heure et peut donc retarder d’autant, mais mes horaires de passage indiquent quand même que tout va bien : Croydon vers 11H30 et Caterham une heure plus tard.

J’ai quand même eu un petit passage à vide vers Purley où j’achète alors une bouteille de Lucozade. Après l’avoir engloutie ça va tout de suite mieux – un rappel à l’ordre sans frais. Après avoir plutôt pensé à la navigation et au trafic, il est temps de recommencer à surveillance aussi ma glycémie.

Après Caterham, Godson Road qui était une route à peu près acceptable pour les habitués d’un trafic plutôt dense et moyennement rapide devient une voie expresse avec séparation centrale. Le trafic dense accélère et un patineur n’y a à mon avis plus sa place. Courageux mais pas téméraire, j’opte donc pour la piste cyclable que je viens de repérer. Enfin “piste cyclable c’est un bien grand mot pour cette affreuse bande de cinquante centimètre d’un revêtement probablement étalé avec les pieds en son temps et aujourd’hui grattoneux quand il n’y a pas carrément de la terre et des débris végétaux. En prime, la végétation mal taillée en bordure de la piste heurte régulièrement mon casque pendant que je patine maladroitement. Une petite route branche vers l’ouest et je parviens à y arrêter une voiture pour m’enquérir d’une alternative – mais le conducteur me confirme que je n’ai pas le choix : pour passer vers le sud l’affreuse route est la seule option à plusieurs kilomètres à la ronde.

La descente vers Godson aurait été bienvenue s’il n’avait pas fallu la négocier sur cette piste cyclable – mais finalement ça se passe bien. Le village Godson amorce une section plus tranquille, avec un large trottoir en prime. Le trottoir est garni de ronces et autres végétaux témoignant de l’importance cruciale que les autorités locales donnent à la circulation des piétons, mais au point où j’en suis j’en fais peu cas tant que je parviens à me faufiler. Le répit est de courte durée : je rejoins bientôt la A22 où le trottoir redevient quasiment inutilisable et le trafic très stressant, à se demander si les conducteurs ne le font pas exprès. Au bout de quelques kilomètres, s’en est trop pour moi et un panneau “Surrey Cycleway” pointant une route vers l’est achève de me convaincre de tenter ma chance sur le réseau secondaire.

Ces petites routes près de Crowhurst sont excellentes – meilleures même que les routes nationales Je continue tranquillement vers Lingfield tandis qu’un passager de voiture lève le pouce en me croisant – un encouragement qui change des klaxons et regards excédés. Le moral retrouve rapidement un excellent niveau.

L’arrêt à Lingfield est l’occasion de passer chez un boulanger qui me fait découvrir une boisson locale au gingembre et une spécialité nommée “booster bar”, un petit pain très lourdement enrichi en fruits secs. C’est bon et efficace. Avec un peu de chance, la voiture de Teleatlas qui passait par là m’assurera l’immortalité sur Google Street View les patins aux pieds et la booster bar entre les dents.

Plus au sud, en continuant vers East Grinstead, j’opte pour un passage par Dormans Park au lieu de prendre Felcourt Road qui est un tout petit peu trop chargée à mon goût. Ce fut une erreur à plus d’un titre : non seulement c’est un relief plus élevé, mais en plus ce n’est pas un passage routier à moins d’un détour non négligeable. Le seul passage vers le sud est le prolongement d’Eden View, un petit chemin forestier en terre battue boueuse. Les passants qui m’y ont vu patauger en rollers en rient certainement encore…

Mais malgré ce raccourci douteux conseillé par un local, je finis par sortir du domaine privé et j’amorce l’ascension de St Hill qui annonce le début d’un segment calme fort agréable.

La descente sur Weir Wood reservoir manque de visibilité et elle est trop raide – je me résigne donc à brûler de la gomme avant d’affronter l’inévitable montée sans même avoir profité de la descente. Mais je me console sur Chiling street, une interminable descente en pente douce qui me fait oublier tous mes soucis et m’amène au pieds de Horsted Keynes. Un petit détour par la place du village et je continue paisiblement sur Treemans road et Sloop lane où je bavarde avec des buveurs à la terrasse d’un pub isolé au milieu de la campagne. Ce segment bucolique très agréable se termine à North Chailey ou un ravitaillement est de rigueur dans une station service : jus fraise-banane bio et une magnifique grosse barre d’un mélange de fruits secs délicieux. Je commence à croire aux fruits secs comme alimentation pour patiner.

A partir de North Chailey j’emprunte l’A275, un axe important mais dont la densité de trafic est tolérable d’autant que quelques segments de trottoir offrent un bon échappatoire au passage d’une rafale de voitures. A l’approche de Lewes je me fait rattraper par un cycliste que je rattrape à mon tour à la faveur d’une montée. On s’arrête pour faire connaissance – il s’appelle Ben et il arrive de Londres, comme moi ! Il viens à Lewes pour assister à un tournoi d’ultimate frisbee. On parle de randonnée quelques minutes, on fait un point de navigation ensemble, puis je m’achemine à travers le centre de Lewes.

A la sortie de Lewes une mauvaise surprise m’attend : le tunnel de Cuilfail est formellement interdit aux piétons et aux cyclistes. Heureusement, ma mauvaise foi congénitale m’autorise à noter qu’aucune mention ne vise les patineurs – et comme un trottoir borde la voie dans le tunnel, je passe outre sans problème. Mon forfait est récompensé par trois kilomètres de descente de Ranscombe hill sur l’une des plus belles pistes cyclables qu’il m’ait été donné de tâter. L’A27 semble toute neuve et après tous les pistes cyclables et trottoirs immondes que j’ai pu rencontrer je suis ravi de constater que les pouvoirs publics ont des velléités d’adapter les routes du pays aux circulations à force musculaire – mais même ce magnifique segment ne fait pas le poids pour remonter la moyenne du pays. Et la suite me le fera vite oublier : l’A26 vers Newhaven est chargée de conducteurs d’une agressivité rare – je ne compte plus les frôlements et autres gestes hostiles dont les habitués de la perfide Albion imagineront très facilement le style. La route est aussi étroite que grattoneuse, et les conducteurs d’automobiles semblent très contrariés de devoir la partager avec un patineur. La piste cyclable encore plus petite que d’habitude voire souvent inexistante n’a pas eu l’air de les faire réfléchir autrement.

Au bout de la route, j’arrive glorieusement au terminal du ferry de Newhaven à 18H30 soit après 8H40 de route. Et là, la pire surprise de la journée : une note laconique sur la porte explique que le site est fermé jusqu’au lendemain, sans donner la moindre raison. Protestants qu’il sont en majorité, les Anglois ne célèbrent pas le 15 Août – mais peut-être que ce jour férié côté Français est la cause de cette interruption de service.

La tentative de Londres-Paris s’arrête donc à Newhaven… Mais je décide déjà que je reviendrai – il n’est pas question de rester sur cet échec, surtout maintenant que je suis à l’aise sur les routes du sud de l’Angleterre.

Dans le train du retour sur Londres, je bavarde avec une charmante habitante de Newhaven qui vient à Londres fêter les trente ans d’une de ses amies ce soir, dans une boite où tout le monde circule et danse en roller ! Elle n’a jamais chaussés de rollers et s’attend évidemment à ce que tout le monde soit ivre – j’ose à peine imaginer les résultats… L’idée m’a traversée l’esprit de tenter l’incruste en proposant mes services pédagogiques pour sauver la jeune damoiselle en détresse, mais un gars sale et puant en cycliste et T-shirt moulant sur des roues de 102mm risque de poser un problème pour se fondre dans la masse des londoniennes du samedi soir. J’ai donc choisi de continuer poliment ma route en regrettant amèrement de ne pas avoir pris de vêtements de rechange et qu’il soit trop tard pour aller en acheter.

Grâce à la bizarrement peu fiable offre d’itinérance de mon cher employeur et opérateur de téléphonie mobile, je ne dispose pas de connexion à l’Internet pour vérifier les disponibilités à bord des avions, je ne prend pas le risque de descendre à Gatwick où le train s’arrête. Je continue jusqu’à Victoria station, puis en métro jusqu’à St Pancras où j’arrive juste à temps pour louper le dernier Eurostar de la journée. Dans un prochain article je vous expliquerai peut-être comment positionner les rollers comme oreiller et où sont les meilleurs coin pour dormir par terre dans la gare…

Londres-Newhaven c’est 85 km à vol d’oiseau. Mon projet sous Google Maps donnait 94 kilomètres. La réalité reconstituée sous Google Maps, à partir de la trace GPS donne 102 kilomètres, que j’ai parcourus en 8H40 à un peu moins d’une douzaine de kilomètres par heure.

A une erreur de navigation dans Londres, quelques routes de campagne et quelques raccourcis douteux près, mon parcours est proche de ce que j’avais prévu. Le mode “terrain” de Google Maps démontre là sa valeur : une carte routière avec des courbes de niveau, c’est efficace pour planifier un parcours à la force des muscles. Il ne manque plus qu’un indicateur de qualité du revêtement.

Pour la prochaine tentative, fort de mon expérience, j’ai élaborés deux parcours:

Reste à en choisir un – et à s’assurer qu’il y aura un ferry à l’arrivée…